23 Mai La Provence – Affaire traitée par le Cabinet Schroder
Accusé d’une agression raciste au couteau, le prévenu a écopé d’une peine de six mois de prison ferme. Il devra aussi se soigner et payer des dommages et intérêts. Illustration valérie vrel
Son voisin lui faisait vivre l’enfer. Torrents d’invectives crachées en pleine figure, nom de famille rayé sur sa boîte aux lettres, parfois bourrée d’ordures, menaces de lui « couper la tête » avec une lame pointée dans sa direction… « Je n’en peux plus, je cherche un autre
logement », confie Nania M. d’une voix tremblante en détaillant devant le tribunal correctionnel de Marseille, ce mercredi, le « harcèlement » quasi quotidien dont elle se dit victime. Ce qui vaut pareil traitement à cette jeune célibataire sans histoire ? Sa peau foncée et ses origines algériennes, rien de plus.
Il est comme ça, René S. : à 52 ans, cet homme rustre aux cheveux mi-longs et au regard ombrageux semble exécrer ceux qu’il appelle les noirs et les arabes. Et il ne voudrait pas de ces « gens » à côté de chez lui. C’est du moins ce qu’attestent plusieurs témoignages. « Dès le premier jour où j’ai eu ce logement, il y a sept mois, il a hurlé pour une histoire de câble coupé », raconte Nania M. à la barre. Je n’ai pas saisi. Je lui ai proposé de lui prêter mes codes pour internet ou la télé… Il a refusé. Je ne le connaissais pas. Je me suis dit que ça passerait. » Bien au contraire, sa vie venait de basculer dans l’angoisse : « J’en suis venue à regarder par le judas avant de sortir et à ne plus prendre l’ascenseur. Je ne sens pas en sécurité… », se désole-t-elle. Plusieurs fois, il m’a insulté de sale arabe et fait pareil avec les ouvriers qui viennent travailler sur la résidence. Il a même tapissé ma porte d’excréments… »
« Ce qu’il reproche à ma cliente, c’est d’exister »
À l’en croire, la précédente locataire aurait déménagé pour ce motif. Et deux autres déclarations versées au dossier, celles du gardien et d’une gérante de copropriété, confirment la violente xénophobie du voisin. Un homme qui n’a jamais travaillé et habite, « depuis 1977 », se rengorge-t-il, dans ce domicile familial du 9e arrondissement. Depuis la mort de sa soeur et le départ de sa mère en maison de retraite, il y vit seul, profitant d’une pension allouée « pour des problèmes de rein ».
Le 20 février dernier, René S. est passé des paroles aux actes : « On vous reproche d’avoir menacé Madame en brandissant un couteau et en disant “Sale arabe, je vais te couper la tête”« , résume la présidente Christine Mee. L’affaire aurait pu en rester là. Classée sans suite. Parole contre parole. Comme la main courante et la plainte déjà déposées par la victime présumée…
Sauf que ce soir-là, après avoir démenti en bloc, comme les autres fois, René S. a laissé des traces. Primo, il s’est lâché devant les policiers. Les pensait-il de son côté ? Ils ont soigneusement consigné ses mots sur le procès-verbal : « Tout au long de leur intervention, vous avez tenu des propos racistes », lit la présidente. « Vous leur avez dit, je cite : “Vous me croyez pas et vous les croyez eux, ces arabes, ces noirs, ces melons. C’est toujours les mêmes qui foutent la merde. Il faut faire quelque chose…” »
À cette lecture, le prévenu bafouille : « J’ai pas dit ça. »
– « Les policiers aussi sont des menteurs, Monsieur ? », grince la présidente. – « Tout le monde est contre moi… », rumine le prévenu.
Secundo, deux crans d’arrêt ont été saisis dans sa veste juste après l’agression présumée.
– « Pourquoi les aviez-vous ? »
– « Je les ai trouvés le jour même dans les affaires de papa et je les ai mis dans ma poche. J’ai oublié de les enlever… »
La présidente ironise : « Une coïncidence assez flagrante. On vous accuse de l’avoir menacée avec un couteau, et comme par hasard, vous avez un couteau sur vous ! »
Tercio, sa version des faits n’est étayée pas rien. Selon son récit, un ami de Nania M., « l’Américain », l’aurait attaqué en premier. Mais il a été incapable de l’identifier pendant la confrontation et s’est emmêlé… « C’est allé vite… » Pourtant, René S. n’en démord pas, il râle : « On n’est pas des gens comme ça à la maison, chez nous… » Il tente :« Je vais même vous dire : le mari de ma soeur, c’est un Libanais ! »
L’argument fait sourire l’assistance. Beaucoup moins le ministère public qui réclame dix-huit mois de prison dont dix avec sursis pour cet « acte très grave », ces « persécutions d’une grande lâcheté ».
« Ce qu’il reproche à ma cliente, c’est d’exister », s’indigne Me Schroder pour la partie civile. En face, la défense dénonce « des ouï-dire et de commérages ». Sur son banc, Nania M., elle, a craqué et pleuré à chaudes larmes. « Elle craint de le recroiser dès ce soir et que ce soit pire », glisse son avocate pendant l’interruption.
La jeune femme peut dormir tranquille : douze mois de prison dont six ferme avec mandat de dépôt et obligation de soins sont infligés au prévenu, pour « menace matérialisée de crime en raison de la race ». Emmené en détention, René S. secoue la tête. Il ne comprend pas.
Laurent d’Ancona
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